L’école dominicaine doit tout aux Arabes, sans lesquels elle n’aurait jamais connu Aristote. Le grand mouvement de pensée qui se produit au XII ème siècle et se traduit par la fondation des Universités, réside du flot de connaissances apporté brusquement par les maîtres de Cordoue qui, avec les livres du Stagyrite, ouvraient au Moyen-âge le trésor de l’expérience hellénique. Comme la Renaissance intellectuelle du temps de Médicis sort des textes grecs de Platon, apportés par les Byzantins après la chute de Constantinople, celle du XIII ème siècle provient de l’ébranlement causé par les traductions latines d’Aristote.
On disposait enfin de la somme des connaissances acquises dans l’esprit humain dans les beaux jours de l’antiquité. De la Perse, ce trésor avait passé aux écoles de Bagdad et du Caire, puis, vers le XIème siècle, aux brillants foyers d’études des Arabes d’Andalousie, alors sans rivaux dans le monde. Rien n’égalait dans le monde la gloire des Avicenne et des Averroès. Dans son duel avec l’Islam, l’Eglise n’eut d’autre ressource que de lui dérober ses armes. De là, l’élan extraordinaire qui s’empare des intelligences, le renouveau d’activités que nous admirons dans ce grand siècle, cette résurrection éclatante dont témoignent les noms d’un Alexandre de Halès, d’un Saint Bonaventure, d’un Albert le Grand, d’un Saint Thomas. Mais il faut convenir qu’entre eux et le Maître des maîtres, la science Arabe a construit le pont et qu’aucun de ces grands hommes ne serait rien sans le génie d’Averroès.
Inutile de revenir désormais sur ce qui est hors de doute : le Moyen-âge doit peu à Rome et tout à l’Orient. Nos pères, les Romantiques, ne s’y étaient pas trompés ; ils ont pressenti ce qu’ont démontré les érudits et les archéologues. C’est à l’Asie-Mineure que nos églises doivent leurs clochers, à l’Iran leurs arceaux, leurs voûtes, leurs coupoles, à l’émail persan, leurs yeux et leurs vitraux, aux tapis, aux étoffes, leurs chapiteaux et leur décor.
C’est la Perse qui inventa l’inépuisable féerie romane, monde merveilleux et héraldique du blason, la faune hybride, stylisée, le griffon, la chimère, la créature volante, mi-bête, mi-oiseau, c’est elle qui donna des ailes à tous les êtres de la création et lâcha par les airs cet essaim surnaturel, amalgame de formes disparates, qui sont tour à tour le monstre ou l’ange…
C’est de la Perse que s’élance le vol enchanté de la fantaisie, l’oiseau bleu du caprice, de l’arabesque de l’irréel : ce peuple de magiciens a fait au monde le cadeau de l’art pur, de la fête des yeux, du gratuit. Tout cela nous arrivait sous les formes les plus précieuses, le tissu, le coffret d’ivoire, le bijou. Les reliques des corps saints, les ossements des martyrs dont l’Europe était si avides, dans sa soif de miracles, voyageaient enveloppés dans un suaire de luxueuses étoffes, qui font des trésors de nos églises, comme ceux de Sens et d’Auxerre, les plus beaux musées de la soie. Étonnantes pérégrinations des formes et des images ! Quand on se trouve dans une église comme celle de Puy ou de Tournus, on se demande par quel prodige un monument de Samarkhand a pu être transporté sur une montagne du Velay ou dans une vallée de Bourgogne ; il faut que ces édifices aient été doués d’un véhicule qui les déplaçait par les airs, ou que le peule dise vrai, quand il nous parle d’églises apportées par les anges.
Louis Gillet