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Nos associations musulmanes : quelle relève ?

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Beaucoup d’associations musulmanes ont aujourd’hui atteint une taille nettement plus grande que celle qu’elles avaient le jour de leur constitution. Leur nombre d’adhérents s’est décuplé, leurs structures se sont ramifiées et leur aura dans leurs villes et communautés respectives a grandi. Des mosquées dignes ont vu le jour, et des actions associatives visibles menées par des citoyens musulmans sans complexes se développent.

Autant d’avancées qui exigent de tous reconnaissance et responsabilité.

Reconnaissance, car c’est ainsi que les bienfaits de Dieu se voient multipliés (Si vous exprimez la reconnaissance, Je vais certainement amplifier mes bienfaits pour vous….) (Ibrahim, verset 7).

Responsabilité, car il en va de notre engagement envers Dieu et envers les croyants : « Dis : œuvrez, car Dieu verra votre œuvre ainsi que son prophète et les croyants » (Le repentir, verset 105) et parce que nous devons, en tant que musulmans qui se veulent témoins de leur époque, garder à l’esprit  le verset coranique : « Soyez fidèles au pacte de Dieu après l’avoir contracté et ne violez pas vos serments après les avoir solennellement prêtés et avoir pris Dieu comme garant [de votre bonne foi]. Vraiment Dieu sait ce que vous faites ! » (Les abeilles, verset 15) et la parole du prophète : « Chacun sera questionné sur ce dont il avait la charge….»

Cependant, les responsables des mosquées et des associations doivent éviter les écueils et faiblesses qui, généralement, accompagnent les structures qui grandissent. Le premier de ces écueils, est l’orgueil. N’oublions jamais que tout bienfait ne vient que d’Allah, et quoique soient nos compétences, c’est uniquement par l’assistance divine que nous réalisons nos projets. Ne jamais oublier de valoriser les fidèles, les masses de croyants qui, dans la discrétion de leurs invocations, et grâce à leur soutien continu ont permis à ces associations de grandir et à ces mosquées de se construire.

La seconde tentation est celle de se sentir irremplaçable et c’est là un danger qui guette les bâtisseurs. C’est un sentiment qui est souvent à l’origine des scléroses des structures, et la fermeture des portes aux nouvelles compétences. Une sorte de protectionnisme qui fait fit d’une règle de base « Sous-estimer sa propre œuvre et reconnaitre celle des autres, pour aiguiser la sincérité et chercher l’agrément de Dieu… ».

Comment comprendrait-on que des associations, en France, et en 2012, continuent à être dirigées, non par des équipes, mais  avec des méthodes qui ne changent pas, et des réflexes difficilement acceptables? A la tête de ces structures, on trouve parfois des responsables, natifs de pays qui ont peiné à reconquérir leur liberté et qui n’ont pas hésité, lorsque l’occasion leur en est donnée, à fustiger la stagnation du pouvoir qui a perduré dans ces pays, et à saluer par des discours lyriques, les derniers souffles de la liberté, mais acceptent dans leurs propres structures un hiver d’immobilisme et de fermeture…

En évoquant la mosquée, nous ne pouvons oublier que l’Islam a doté les musulmans d’une institution de réforme continue que constitue le prône du vendredi : des fidèles animés par leur foi, obéissants à leur seigneurs, qui ont aménagé un temps, et parcouru un trajet pour venir s’acquitter du devoir du vendredi et écouter l’imam leur livrer un message de la référence musulmane.

Nul doute qu’en France, face à des jeunes et des moins jeunes fidèles dont la plus grande majorité est non arabophone, l’usage du français pour transmettre le message n’est plus un luxe, mais bien une nécessité. Là-qui donc en disconviendrait- n’est plus le problème , sauf à croire que la gestuelle suffit pour se faire comprendre !

Mais le discours de nos imams et responsables d’associations ne devrait pas perdre de vue le socle de la référence; un rappel sans cesse à un retour vers Dieu. Un rappel empreint de compassion, de douceur, loin des surenchères et des mises à l’index.

Malheureusement, dans beaucoup de nos  mosquées, au gré de ce que les prôneurs placent comme étant leur propre priorité, ou celle de leurs organismes d’affiliation, les sujets sont choisis et sont souvent loin des préoccupations des fidèles. A quoi sert le discours d’un prôneur qui, du haut de sa chair, sermonne « cette femme ou fille musulmane » qui ne porte pas le voile, ou ce jeune qui a du mal à assumer sa religion, alors que ceux-ci sont certainement animés par une énorme foi, et qu’ils font tout pour composer avec les exigences d’une société où sévit le racisme et le refus de la diversité ? Quelle pertinence accorderions-nous à un prône qui se transforme en tribune qui délivre des discours de convenance sans jamais s’inscrire dans la réalité des fidèles, ou des discours politiques infantilisants et superficiels ? A quoi sert le discours d’un prôneur qui, à contrario, n’aborde jamais ces sujets, de peur de s’attirer les foudres et d’être vite taxé de prêcheur du radicalisme, certain qu’il est que personne ne prendra sa défense lorsqu’un tel anathème lui sera jeté ? Que peut un prôneur si, autour de lui, il ne sent pas qu’il est soutenu, encadré, aidé dans sa mission, et à quoi bon les seuls discours du vendredi s’ils ne sont pas accompagnés d’un programme riche de débats et conférences menés par des connaisseurs, et non par des orateurs érigés en encyclopédistes qui « connaissent tout sur tout » ?

On assiste aussi à des discours qui plongent les prieurs dans une nostalgie douce, en leur rappelant les prouesses des musulmans d’antan sans pour autant ouvrir la perspective que des hommes et des femmes de foi sincère existeront jusqu’à la fin des temps… Le passé, par ces prôneurs, est mobilisé non pour éclairer sur l’avenir, mais pour désespérer et affliger. Le pauvre fidèle, lassé du matérialisme ambiant, de la pesanteur des éphémères, sort du prône du vendredi, encore plus affligé qu’il n’y est entré, tellement le prôneur lui a fait sentir la responsabilité, non pour booster son esprit et sa créativité mais pour le décourager….

Les prôneurs qui adoptent une telle stratégie doivent accepter d’ être conseillés. Il faut, au niveau où ils interviennent,  véhiculer plus la joie de la foi partagée que la frustration des manquements inévitables, le sens d’une spiritualité d’engagement et de mobilisation et non de recroquevillement et de différenciation. C’est une question d’équilibre, exigeant, mais nécessaire…

La visibilité de l’Islam en France, libéré de la tutelle des politiques (sans ignorer leur influence) et ancré dans son contexte, passe par ce sursaut que doivent opérer les associations musulmanes. S’agit-il d’ouvrir la porte aux prétendants de tous bords pour venir dicter leur loi aux mosquées ? Certainement pas, la gestion des mosquées revient à ceux et celles qui y vivent et qui les font vivre. La concertation, principe islamique incontournable, s’opère avec les fidèles, sur le terrain, qui est ici la mosquée.

Les structures de beaucoup d’associations musulmanes sont fragiles, et leur proximité des jeunes faible.

Ces jeunes éprouvent toujours une grande fierté de disposer d’une belle mosquée car il est des fiertés profondes, spirituelles que rien ne peut remplacer.

Il est plus que temps que le relais leur soit passé, progressivement et avec confiance. Le propos n’est bien sûr pas de congédier les bâtisseurs et les pionniers, mais plutôt qu’ils s’investissent pour léguer cet héritage aux générations montantes, en restant dans l’action. La continuité ne consiste pas, venant des plus expérimentés, de laisser les plus novices dans la position de subalternes, qui ne doivent rêver que d’exécuter, et non diriger et même si les portes leur sont ouvertes, c’est pour recevoir les instructions et accepter la mise sous tutelle…

Le travail éducatif reste éminemment important si nous cherchons à léguer non seulement des structures et des murs, mais des âmes éduquées et des personnes engagées. Cette éducation est à même de préparer des relèves innovantes qui ne sous-estiment pas l’effort de leur prédécesseurs, ni ne surestiment le leur. Cette éducation est celle qui se transmet sur le terrain et dans l’exercice des responsabilités et non dans le confort douillet des foyers, et à travers les discours paternalistes secs …

La morale islamique, si elle peut s’exprimer pleinement, c’est avant tout dans les structures qui se qualifient d’islamiques et de musulmanes.

Notre religion nous apprend que nul n’est infaillible. Notre religion est réaliste, et c’est avec ce réalisme que les musulmans, dans leurs  associations, se doivent de participer, de se concerter, de donner, d’exiger et de rechercher la sagesse d’où qu’elle vienne. La société nous attend, nous n’en sommes peut-être pas, nous les musulmans, conscients. Nous avons tellement à apprendre des autres, et les autres ont tellement à apprendre de notre religion…

Après tout, le bien chéri derrière lequel nous courrons tous n’est autre que le paradis !

A suivre …

Hassan Safoui

2 Comments

  1. Macha Allah, l’analyse est cohérente mais je pense qu’il faut approfondir l’idée de l’engagement des « jeunes » (maturité citoyenne, islamité, responsabilisme,…).

  2. salam

    J’irais plus loin, il faut intégrer toutes les composantes de notre mosquée. Et pas seulement les enfants des bâtisseurs, qui risquent de faire du mimétisme.

    L’ouverture doit être plus large. L’ouverture d’esprit ne s’acquiert pas dans les livres. Il faut prendre des risques. Il y a toujours du bien dans la communauté et on ne sait pas où se trouve ces pépites. L’Histoire musulmane montre la grande place des non-arabes, pour montrer que la simple filiation aux bâtisseurs ne suffit pas. Ou même que la vrai filiation est d’être en accord avec le message originel et non pas de s’en revendiquer. Et Dieu choisit qui Il veut pour Sa cause et cela ne pourrait se limitait à une catégorie (jeune,vieux, africain, asiatique, converti, atypique, complexe, anachronique, sulfureux, et j’en passe etc).

    Le travail ne se limite pas à la mosquée et si on déplacait déjà le centre de gravité, il n’y aurait pas cette atrophie intellectuelle qui sévit dans la communauté.

    Une association musulmane doit-elle être composée que de musulmans?

    Les musulmans n’ont-ils pas un rôle à jouer dans la société?

    Les musulmans ont-ils besoin de s’afficher?

    La mosquée devrait être aussi ouverte que les églises. Je trouve dommage qu’on ne puisse pas y entrer librement. Sous prétexte de sécurité, on a limité son impact et éloigné par la même occasion de nombreuses personnes qui auraient pu s’intéresser à l’islam.

    Ca me fait toujours chaud au coeur, quand je vois ces touristes émerveillés lorsqu’ils rentrent à la mosquée de Paris. Ils observent depuis le patio, des gens qui prient. Quelles questions se posent-ils à ce moment là?

    Je salue aussi les séminaires de Larbi Kechat qui a permis à de nombreux non musulmans de rentrer « dans le sanctuaire de la mosquée »

    A quand l’ouverture?

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