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Les révolutions pacifiques et le fait de se rebeller contre l’autorité

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 Au delà de l’horreur qu’est la dictature, rien n’est pire que de lui donner une légitimité religieuse. Je n’entends pas par-là les mauvaises tentatives des savants adulateurs du pouvoir. Ces personnes sont concernés par un autre discours.

Je pointe plutôt les savants vertueux qui se font brulés par les feux des autorités tyranniques, se font pourchasser tels des chiens errants, et qui par la suite font preuve d’une extrême intransigeance en interdisant toute révolution contre ces tyrannies, en raison de quelques hadiths.

Je ne cesse de m’étonner sur comment ces « chouyoukhs » ne se sont-ils pas posé de question à propos de ces hadiths qui, selon leur compréhension, sont venus protéger les régimes dictatoriaux de toute tentative de soulèvement, pour la seule raison que ces tyrans accomplissent la Prière ?

Comment ne pas s’interroger sur ces hadiths en lisant la parole de Dieu « Ainsi chercha-t-il à étourdir son peuple et ainsi lui obéirent-ils car ils étaient des gens pervers » (43 : 54) ?

Le Coran a fait de l’obéissance à Pharaon une perversion.

Dieu dit : « Ils ont suivi celui dont  les biens et les enfants n’ont fait qu’accroître la perte » (71 : 21). Il dit à propos du peuple de Houd : « ils ont suivi le commandement de tout tyran entêté » (11 : 59). Le Coran considère donc, que le fait de suivre et de se soumettre aux tyrans et aux injustes, mérite le blâme et la réprimande.

Le soulèvement des pieux-prédécesseurs contre la corruption

Quelle compréhension, ces gens ont-ils de la guerre qu’a mené ‘Abdoullah ibn az-Zoubeïr contre ‘Abd al-Malik ibn Marwan et son père ?

Comment expliquent-ils le soulèvement des jurisconsultes « fouqaha » de Médine contre al-Hajjaj ibn Youssef ath-Thaqafi ?

Comment  expliquent-ils le fait que les habitants de la ville du Prophète (saws) composés de compagnons et de tabi’ines de la première génération aient rompu l’allégeance prêtée à Yazid ibn Mou’awiya  lorsqu’ils ont été mis au courant de sa corruption, ce qui a provoqué une grande bataille en 63H ?

Des hadiths mal compris

Citons ces hadiths auxquels se réfèrent ces bons gens avant d’en dire un mot :

– Al-Boukhari et Mouslim rapportent que ‘Oubada ibn as-Samit dit : « Nous avons prêté allégeance au Messager de Dieu pour écouter et obéir dans la difficulté et dans l’aisance, dans ce qu’il nous plaît et dans ce qu’il nous déplaît, pour ne pas contester l’autorité à ses ayants-droit, et pour proclamer la vérité sans craindre, pour Dieu, les reproches de quiconque » Dans une autre version : « pour ne pas contester l’autorité à ses ayants-droit, sauf si vous constatez une incroyance évidente dont vous avez un argument provenant de Dieu ».

– Mouslim rapporte d’après Houdhayfa (rad) que le Prophète (saws) dit : « Il y aura après-moi des imams qui ne suivront pas ma guidance et qui n’emprunteront pas ma voie. Des hommes se lèveront contre eux dont les cœurs sont des cœurs de démons sous une forme humaine. » Houdhayfa dit : « Que dois-je faire, ô Messager de Dieu, si je vis cela ? » Il dit : « Ecoute et obéis. Même si on te fouette ton dos et confisque tes biens, écoute et obéis »

– Abou Daoud rapporte d’après Abou Dharr que le Prophète (r) lui dit : « Comment serais-tu lorsque les gens seront touchés par la mort au point où leur demeure sera la tombe ? » Je dis : « Dieu et Son Messager sont les plus savants » Il dit : « Patiente » Puis, il dit : « Dis-moi, Ô Abou Dharr ! » Je dis : « Je suis tout ouïe ! » Il dit : « Comment ferais-tu si tu vois les pierres d’huile plongées dans le sang ? » Je dis : « Dieu et Son Messager sont les plus savants » Il dit : « Reste auprès des tiens » Je dis : « Ô Messager de Dieu ne dois-je pas prendre mon épée et l’accrocher sur mon épaule ? » Il dit : « Tu seras alors comme eux ! » Je dis : « Que m’ordonnes-tu de faire ? » Il dit : « Reste chez toi » Je dis : « Et si quelqu’un rentre chez moi ? » Il dit : « Si tu crains d’être ébloui par la brillance de l’épée, mets ton vêtement sur ton visage et il supportera ton péché et le sien »

Ces « bons » gens ont déduit de ces hadiths que le fait de sortir contre les gouverneurs n’est permis qu’en cas de l’incroyance évidente des gouverneurs. Malgré la corruption, la dictature, l’injustice, l’oppression, les emprisonnements arbitraires, l’horreur, le meurtre, les viols, le vol, le fait d’affamer le peuple et les exactions, il est interdit de se soulever contre eux.

La meilleur réponse à ces gens est ce qu’a dis jadis Ibn Hazm.

Il dit en ridiculisant et en réfutant leur avis : « On leur dit : « Que dites-vous du sultan qui fait des juifs ses mentors et des chrétiens ses soldats. Puis, il impose au musulman le texte de capitation « jizya », porte les armes contre les enfants des musulmans, autorise la fornication aux musulmanes, porte les armes contre tout musulman qu’il trouve devant lui, s’approprie leurs femmes et leurs enfants, faisant ouvertement des ravages parmi eux, tout en reconnaissant l’islam, en le proclamant ouvertement et en n’abandonnant pas la Prière ?!

S’ils disent : « Il n’est pas permis de se révolter contre lui » On leur dit alors : « Il ne laisse aucun musulman sans le tuer, et si on le laisse, il restera obligatoirement seul entouré des incroyants » S’il recommande la patience, ils auront contredit l’islam et l’auront quitté » Et s’ils disent : « On se rebelle contre lui et le combat » Nous leur disons : « Et s’il tue le 9/10 des musulmans ou tous sauf un seul et prend leur femmes comme butin ainsi que leurs biens ? » s’ils interdisent de se révolter contre lui, ils se contredisent, et s’ils l’obligent, nous les interrogeons sur moins que cela. Et nous ne cesserons de diminuer le nombre jusqu’au meurtre d’un seul musulman ou l’enlèvement d’une seule femme ou la spoliation d’un seul bien ou l’agression d’une seule personne d’une manière injuste. S’ils font la distinction entre ces cas, ils se contrediront et auront jugé sans argument, or, ceci n’est pas permis.

Et s’ils jugent obligatoire la réprobation de tout cela, ils se plieront à la vérité. Nous les interrogeront alors sur le cas de celui dont le sultan tyran et débauché enlève son épouse, sa fille et son fils pour  qu’on les viole ou les viole lui-même, as-t-il le choix de se soumettre  lui-même ainsi que son épouse, son fils et sa fille à la turpitude, ou doit-il s’opposer à quiconque voudrait cela ? S’ils disent : « Il doit se soumettre lui-même ainsi que sa famille, ils auront dit une monstruosité que nul musulman ne pourrait dire. Et s’ils disent : « Il lui est obligatoire de refuser et de combattre, ils se seront plier à la vérité, et cela s’applique à tout musulman concernant tout musulman et tout bien »[1]

D’autres hadiths appellent à combattre ces gouverneurs tyrans  

– « Vous dirigerez, après-moi, des hommes qui éteindront la Sunna, introduiront des innovations et retarderont la Prière de son temps légal » Ibn Mas’oud dit : « Que dois-je faire si je vie à leur époque ? » Il dit : « Ô fils de Oummou ‘Abd, pas d’obéissance à quiconque désobéit à Dieu » Il le répéta à trois reprises » (hadith authentique rapporté par Ahmed).

– Mouslim rapporte d’après ‘Abdoullah ibn Mas’oud que le Messager de Dieu (saws) dit : « A chaque fois que Dieu envoyait un prophète avant moi, il avait avec lui parmi son peuple des apôtres et des compagnons qui suivaient sa voie et se tenaient à ses commandements. Puis, leur ont succédé des gens qui disent ce qu’ils ne font pas, et font ce qu’on ne leur ordonne pas. Quiconque les combat avec sa main est un croyant. Quiconque les combat avec sa langue est un croyant, et quiconque les combat avec son cœur est un croyant, après cela, il n’y a plus le poids d’un grain de moutarde de foi »

– Houdahyfa, le narrateur du hadith : « Ecoute et obéis. Même si on te fouette le dos et confisque tes biens, écoute et obéis » dit : « Ô gens ne m’interrogez-vous pas ? Les gens interrogeaient le Messager de Dieu au sujet du bien, et je l’interrogeais au sujet du mal de peur qu’il m’atteigne. Ne posez-vous pas la question au sujet du mort parmi les vivants ? Dieu envoya Mohammad (saws). Il appela les gens à sortir de l’égarement vers la guidance et de l’incroyance vers la foi. Lui répondirent ceux qui lui répondirent, il vivifia par la vérité celui qui fut mort, et quiconque fut vivant mourut par le mensonge. Puis la prophétie s’en alla. Il y  eut le califat fidèle à la voie prophétique, puis la royauté injuste s’installa. Parmi les gens, certains réprouvèrent avec le cœur, la main et la langue, la vérité s’accomplit alors. Certains réprouvèrent avec le cœur et la langue sans la main, ils délaissèrent une branche de la vérité. Certains réprouvèrent avec le cœur sans la main ni la langue, ils délaissèrent deux branches de la vérité. Et certains ne réprouvèrent ni avec le cœur, ni avec la main ni avec la langue, ceux-là sont les morts parmi les vivants » (rapporté par Abou Nou’aïm dans « hilyat al-awliya » (1/274)))

La révolte des jurisconsultes (fouqaha) contre ‘Abd al-Malik ibn Marwan

Où se situe cette compréhension erronée des 183 000 hommes qui se sont révoltés contre al-Hajjaj et son maître ‘Abd al-Malik ibn Marwan en 82H[2] ?

Ibn Kathir dit : « Tous les habitants de al-Basra : jurisconsultes, connaisseurs du Coran, vieillards et jeunes furent de son avis (c’est-à-dire Ibn al-Ash’ath) »[3] dont Sai’d ibn Joubeïr, Talq ibn Habib et autres.

Les révolutions pacifiques ne sont pas une insurrection contre les gouverneurs

Les révolutions qui ont lieu en Tunisie, en Egypte et dans autres pays arabes ont commencés par des manifestations et des contestations, qui se sont rapidement transformés en des manifestations populaires massives qui appellent à la chute des régimes tyranniques et injustes. Ces manifestations n’ont rien avoir avec ce débat pour deux raisons principales :

D’abord, il s’agir d’une réforme pacifique, or, ces hadiths concernent l’insurrection armée. Quel est donc le lien entre ces manifestations avec l’insurrection contre le gouverneur exposé dans les ouvrages du droit musulman et les recueils de hadiths ? Aucun !

Ensuite, ces hadiths et les avis des jurisconsultes concernent celui qui détient l’autorité d’une manière légitime, à savoir, l’élection par le peuple, sans contrainte ni falsification. Or, ceci n’est pas le cas dans les pays traversés par les révolutions. Comment appliquer ces hadiths et ces avis juridiques qui parlent de gouverneurs légitimes, qui probablement, ont commis quelques erreurs … Comment les appliquer à un ensemble de fraudeurs qui ont falsifiés la volonté du peuple au vu et au su du monde entier ?

Cheikh Hamid al-‘Attar
Membre de l’Union Mondial des Savants Musulmans
Traduit par Havre de Savoir


[1] – « al-fasl fi al-milal wa an-nihal » d’Ibn Hazm (4/135)
[2] – Mais aussi la révolte d’al-Housseïn contre Yazid et son gouverneur ‘Oubeydoullah ibn Ziyad et la révolte de Zeyd ibn ‘Ali ibn al-Housseïn contre Hicham ibn ‘Abd al-Malik soutenue par l’imam Abou Hanifa.
[3] – « al-bidaya wa an-nihaya » d’Ibn Khathir (9/167)

3 Comments

  1. C’est pour cela que je trouve qu’il est inutile de vouloir leur répondre par fatwa interposé.Je pense que leur esprit borné vient plus d’un état psychologique que d’un problème de comprehension.Un psy serait plus approprié.
    Il faut passer outre ces gens là et avancer

  2. Il y a un truc chez les musulmans qui commencent vraiment à me saouler,c’est qu’ils ne peuvent rien faire sans l’avis de leur cheikh,que ce soit les ikhwans ou les littéralistes.Il y a des points dans la vie ou le mal est flagrant tel que les inconvénients d’une dictature.Se révolter contre ces pourritures faient partis du devoir de l’etre humain et sa dignité.
    Chez nous ,les gens ne réflichissent que par savants interposés et comme ceux-ci sont rares ,cela ne fait pas beaucoup de cerveau à mettre sur la table pour décider du devenir de la oumma.C’est en quelque sorte une autre sorte de dictature.
    Pour beaucoup de point de la vie ,je n’ai pas besoin de l’avis du savant tartempion pour me guider.Je suis une grande fille pour pouvoir me guider dans la vie.
    Aller chercher à tout bout de champ l’avis de trucmuche pour appuyer son avis paralyse les musulmans dans des débats stériles.La dictature c’est mal.Point barre .Pas besoin de l’avis des hautes sphères du grand cercles des savants pour savoir ça.
    C’est désolant.Quand Marx dit que la religion est l’opium du peuple,il a pas tout à fait tort.Et c’est une musulmane convaincue qui vous dit ça !

    • Salam;

      Je te rejoins en ce qui concerne les littéralistes, mais pas en ce qui concerne les ikhwans. Ils n’ont jamais fait de leurs membres des clones en leur ôtant toute réflexion personnelle.

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