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La Muslim Pride : pour un islam « in »

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En 2010, le politologue Patrick Haenni parlait dans L’Islam de marché de jeunes entrepreneurs européens fiers d’être musulmans et en phase avec leur époque. Nommé « Muslim Pride », ce phénomène a inspiré Raphaël Liogier, professeur de sociologie à Science-Po Aix et directeur de l’Observatoire religieux, la création d’un mouvement du même nom. Son objectif : rendre la culture musulmane tendance pour mettre fin à ce qu’il nomme la  » paranoïa anti-musulmans « . Une initiative récente, qui se concrétise à travers une exposition et un festival à l’Institut des Cultures d’Islam, du 15 au 29 mars.

La Muslim Pride : pour un islam "in"

À l’origine de la Muslim Pride, un constat. Celui de Raphaël Liogier entre autres, selon qui depuis le début du XXIe siècle, l’islam fait l’objet d’une stigmatisation sans relâche en Europe. Ce qu’il explique par  » la fragilité identitaire de l’Europe face à la globalisation « , et par  » le délire d’encerclement, le complexe du colonisé de l’intérieur  » qui en résulte. Un  » coupable essentiel à qui les Européenne reprochent tous les maux  » aurait alors été désigné : le « musulman », pas réel, mais métaphysique, comme pure construction de l’imaginaire collectif.

Bien sûr, des organismes tels que le CCIF (Comité contre l’Islamophobie en France) et le CRI (Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie) luttent depuis une petite dizaine d’années contre la menace islamophobe. Mais tous adoptent une méthode similaire : ils organisent des débats afin de peser sur l’opinion publique autant que politique. Un procédé que Raphaël Liogier juge parfaitement inadapté. Car, selon lui,  » on ne peut pas au sens propre parler d’islamophobie au sujet de la haine anti-musulmans actuelle ».

En effet, dans la phobie on a peur d’une chose que l’on voit, que l’on sait identifier, et cela peut se résoudre à l’aide de discours rationnels. Or on constate que plus les gens ignorent la réalité musulmane, plus ils en ont peur. Il s’agit donc d’une paranoïa au sens clinique, c’est-à-dire d’une « psychose ». « Pourtant, les musulmans constituent la minorité la plus pacifique de France », rappelle le chercheur.

En effet, jamais une manifestation de musulmans n’a eu lieu, pas même pour protester contre la loi de 2004 sur l’interdiction du voile, ni contre celle de 2010 qui interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. C’est là qu’intervient la Muslim Pride : en incitant cette population à se montrer, à sortir de l’invisibilité dans laquelle elle se réfugie. Pas par la violence, mais en organisant des événements artistiques et culturels susceptibles de leur redonner confiance et fierté.

D’où le choix d’une exposition et d’un festival pour amorcer le mouvement. Au programme : un panorama du racisme anti-musulman en Europe, des portraits et témoignages de jeunes musulmans européens, des spectacles, des projections, des concerts… Le pari sur l’art vise aussi les « paranoïaques » dont parle Raphaël Liogier. Si les discours ne peuvent les guérir de leur   « mal », un choc esthétique pourra peut-être y parvenir. Une musique, une image qui touche est au-delà des mots, qui peut-être se rapproche de la zone mentale où se terre l’horreur ressentie devant l’Autre, le musulman mutique.

Rien n’est gagné, rien n’est prévisible. Mais l’expérience doit être tentée. Ouverte à tous ceux qui déplorent la discrimination du regard dont sont victimes les musulmans, la Muslim Pride tend à montrer la diversité de la culture musulmane. Et à en faire une tendance, une culture  » in  » qui permette d’éviter le  » lynchage institutionnel dont est victime cette population « . Gay pride, Muslim Pride : ces deux mouvements ont alors bien plus que leur nom en commun. « Une même volonté de faire aimer ce que beaucoup trouvent laid », dit Raphaël Liogier.

Les jeunes sont donc une des cibles principales de la démarche. Déjà, pour mettre en place l’exposition de l’Institut des Cultures d’Islam, Raphaël Liogier a travaillé avec ses élèves d’Aix-en-Provence. » Il faut aussi toucher les bobos, qui incarnent la culture dominante et croient avoir des idées avancées sur le sujet alors qu’ils sont pleins de préjugés ». Les formes exactes que prendra le projet sont encore à définir. Pour commencer, l’exposition actuelle est destinée à tourner en France. Le reste se dessinera peu à peu, au gré de l’ère du temps et des idées.

Par Anaïs Heluin – publié sur lemondedesreligions.fr

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