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Témoignage de l’ex-imam de Cannes-La-Bocca, limogé pour avoir fait l’éloge d’Erdogan et Morsi

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Recruté avant l’inauguration officielle de l’édifice  en avril dernier, l’imam Saïd Nait-Ouaziz de la mosquée de Cannes-La-Bocca, a été licencié pour avoir tenu des propos jugés trop politiques lors du sermon du vendredi du 15 août 2014. On reproche à ce jeune imam d’avoir évoqué la situation en Turquie avec l’élection démocratique du président Erdogan.  Il a également vivement dénoncé l’injustice, le massacre et la tuerie subie par les égyptiens en août 2013 sous les ordres du général Sissi, et critiqué l’accueil qui lui était réservé lors de sa visite à La Mecque, suivi de son entrée au sein de la Kaaba.

La réaction ne s’est pas fait attendre, notamment chez le saoudien Saleh Kamel qui a financé la construction de la mosquée à hauteur de 2 millions d’euros. Ce millionnaire saoudien, proche de la famille royale, n’a pas du tout apprécié ce genre de discours et a donc demandé le limogeage de ce courageux imam.

Pour rappel, l’Arabie Saoudite a officiellement apporté son soutien au criminel égyptien Sissi. En plus d’un soutien financier de plusieurs milliards de dollars, l’Arabie Saoudite a reçu avec les honneurs le dictateur égyptien quelques jours auparavant. On comprend donc mieux la réaction du donateur saoudien, mais comment comprendre celle des responsables français de l’association qui gère la mosquée ? Redouane Aichfakir, directeur de la mosquée, a déclaré au sujet de Saïd Nait-Ouaziz : « il est allé beaucoup trop loin. Il a même déclaré qu’Erdogan et les Turcs ont donné une leçon de démocratie à la France et à l’Occident. Bref il a confondu la mosquée avec une tribune politique, ou l’antenne de BFM TV ou d’Al-Jazeera. Ce n’est pas acceptable. Ici, les fidèles viennent pour entendre parler de religion, pas de politique. »

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Sissi en visite officielle à La Mecque – Août 2014

INTERVIEW
Formé à l’IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) de Château Chinon, Saïd Nait-Ouaziz est décrit par ses professeurs comme un excellent élève. Nous avons réussi à le joindre, et il nous a fait l’honneur de répondre à nos questions.

Saïd Nait-Ouaziz, quel était votre rôle au sein de la mosquée de Cannes-La-Bocca ?

J’occupais la fonction d’imam au sein de cette mosquée. Originaire de Nice, je suis venu exercer dans cette mosquée, où j’étais responsable de tout l’aspect cultuel. En plus de diriger les prières quotidiennes, l’imam doit être dévoué pour répondre aux attentes de la communauté. C’est donc une fonction que l’on occupe à temps plein et qui demande énormément de temps. C’est avec plaisir et honneur que j’ai choisi cette vie

Avant ce sermon du vendredi 15 août, quelles relations entreteniez-vous avec les responsables de la mosquée ?

On me faisait pleinement confiance. J’ai toujours agit en conformité avec ce qui me semblait juste et personne n’est jamais venu me reprocher le discours que je tenais. Je jouissais d’une liberté totale pour mes prêches.

Quels étaient exactement les sujets abordés lors de ce sermon ?

J’ai d’abord félicité le président turc Erdogan, élu préalablement au suffrage universel direct. Cette nouvelle m’avait enchanté. J’ai également abordé le cas du dictateur égyptien Sissi, qui un an après les massacres de Rabi’a al Adawiyya, s’est rendu à la Mecque. L’accueil qui lui a été réservé et son entrée dans la Kaaba m’ont profondément attristé, et c’est cela que j’ai dénoncé dans mon sermon. J’ai également condamné avec force la persécution des chrétiens d’Irak.

Quelle fut la réaction de ces responsables suite à votre intervention ? 

Le directeur Redouane Aichfakir m’a dit que mon sermon n’était pas adapté, qu’il ne fallait pas que j’aborde ce genre de sujets le vendredi.  J’ai défendu mes positions, maintenant le fait que Sissi était bel et bien un criminel, et que le musulman ne pouvait pas se montrer complaisant face aux tyrans. Mais ce qui a  vraiment été inadmissible, c’est qu’il y a eu un refus de dialoguer de la part de mes contradicteurs. J’étais prêt à discuter quand eux ont préféré annoncer mon limogeage en public le vendredi suivant, profitant de mon départ en vacances.

Aujourd’hui, avec du recul, est-ce que vous regrettez vos propos tenus sur le général Sissi ?

Comme je l’ai dit dans mon sermon, la vie humaine est sacrée en islam. La vie humaine est plus sacrée que la Kaaba. Jamais, je ne pourrais regretter mes propos sur un criminel comme le général Sissi. Il est venu au pouvoir en Egypte par un coup d’état, et il a sur les mains le sang de milliers d’égyptiens. Sissi est le descendant de Pharaon.

De manière générale, quelle est votre opinion sur la place que l’imam occupe à la mosquée ?

Vous savez, l’imamat est devenu un métier difficile. Il demande un investissement quotidien. Malheureusement, on le cantonne à un rôle purement cultuel, et il participe très rarement aux directives et orientations que la mosquée doit prendre. Il est sujet à toutes les critiques car il est souvent perçu comme le responsable de la mosquée, or ce n’est pas toujours le cas. Bien souvent, il ne fait que suivre les consignes des responsables de la mosquée.

Comme vous le reproche Redouane Aichfakir, la politique doit-elle rester en dehors de la mosquée ?

L’islam englobe tous les aspects de la vie. Notre communauté a besoin d’avoir une conscience politique. Je l’ai dis et répété, le vote c’est un témoignage, et les musulmans doivent y prendre part. On m’a dit de ne pas faire de politique à la mosquée, mais ca ne les dérange pas d’accueillir le maire de la ville pour la fête de l’Aid. En réalité, tout le monde fait de la politique, le simple fait de ne pas vouloir aborder des sujets politiques, c’est déjà en soi faire de la politique. La politique régit tout aujourd’hui et ceux qui tiennent ce discours veulent uniquement maintenir la communauté musulmane en dehors des débats de société.

Cette affaire a fait beaucoup de bruit au sein de la communauté musulmane. Qu’envisagez-vous de faire pour la suite ?

Je suis profondément attaché à la justice et la Vérité. Je réclame justice pour les conditions dont ce limogeage s’est déroulé. J’ai donc entamé un recours aux Prud’hommes, et j’espère inchaAllah que ma situation fera cas de jurisprudence. Non pas dans un intérêt personnel, mais pour que cela n’arrive plus à d’autres imams, qui pourraient vivre la même situation.

 

 

 

 

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